Chute libre

Publié le par Lucie Delarosbil

La suite de Regard franc, troisième partie de Sauvage déréliction, la finale !

Chute libre

cette vie de soie noire, parsemée de trous et de cailloux, une longue passerelle où s'enrobe la nuit, un horizon solaire rallume la lueur de tes yeux, les fleurs s'éveillent avec l'invisible du vent

tes soupirs éloignent les espoirs anéantis, les détresses de nuage, les souvenirs n'ont point perdu la douceur de ta solitude heureuse, envahie par la désolation, l'ivresse de tes sens, le feu de tes amours épuisés, décousus

le soleil disparu, un nuage déverse ses larmes noires, dans tes yeux vert-de-gris, décolorant ainsi ton regard, la lune se cache, derrière ta nuit blanche, s'ouvrent et se ferment des lumières sur un nid d'étoiles, le soleil dort et il fait seul

au ciel la lune se montre invisible, la nuit s'éclaire en mille feux, une étoile te parle pour te raconter, tu écoutes comme toujours la lumière qui éclate d'une voix radieuse

où est-il cet être n'en pouvant plus, comme un miroir brisé en éclats, de rechercher l'unité dans son corps

allongé, endormi tu sembles, en t'apportant ses conseils la nuit te secoue, les mains pleines de sueurs et de gants blancs, tu remplis tes derniers jours en ivresse de la faim

c'est ton coeur, il se met à l'ouvrage, il nous rapporte, les couleurs de la nuit, il voit tout dans le noir

au bout du chemin parcouru tu t'annonceras à la lumière du temps, rien ni personne n'aura plus de notion ni de labeur, le ciel aura son soleil illimité, la nuit sa noirceur éveillée, le sommeil éperdu dans la brume tu iras vers un abri, tu ramèneras un visage éprouvé

accoudées dans le noir, ta lourdeur, tes nuits blanches ne font qu'étreindre la folie, plus de fleurs plus d'étoiles plus de couleurs, même plus de pluie ni de vent pour t'émerveiller, seulement une sauvage déréliction pour t'accabler jusqu'au bout

le tumulte des eaux froides cherche à tourmenter tes passages à vide, tu te laisses remuer par le duvet d'une musique au loin, il se passe des choses imprévues qui viennent paître en toi, t'offrir le courage le désespoir d'agir à ta guise, partir ou rester, le choix sera saisissant, mais tu n'y peux rien

un tourbillon d'air frais inonde tes mouvements, et cette lueur qui ne cesse de fredonner au bout de la route, elle t'aspire et te réclame, viens ici, tu iras là, tu y demeureras, sans demander pourquoi

une petite plume se décroche, s’emporte avec les airs, se dépose se déplace sur les dentelles de la musique, sur tes doigts que des égratignures, tu désertes l’infinie surface, creusant ta place au rang des profondeurs

tu observais dans la vitrine, l'eau coulait le feu s'éteignait, le souffle s'amenuisait dans ton regard, à grande eau à petit feu, la mort venait te prendre en souriant, tu savais calculer patauger mais savais-tu que la vie est une mort et la mort une autre vie

au silence des roses brillent des noirceurs, se cachent des solitudes veloutées, hors de tout doute l'invisible nous raconte des récits à écouter

ce peut être toi moi, cet enfant rebelle à la trahison, enfant lucide et coloré, qu'on pétrit, qu'on fait périr, à force de marteler le velours de ses murmures répétés

par le passage à niveau une avenue se peuple de cellules familières, le baume de ton être adoucira l'amertume de mon sang noir

la nuit ne vit pas sans son sommeil, elle se garde de veiller, elle égrène son temps, cheminant d'une heure à l'autre jusqu'à la fin, l'aube prend son tour, tu avances dans la main du soleil

le jour te crie au réveil, tu accours, tu t'emballes, sans tomber, ni au fond ni d'en haut, voilà tout le plaisir jamais reconnu de ton ancien lieu

il faut te mettre au propre, te préparer, garnir ton corps tes valises tes paroles, ne pas mentir mais ne rien dire, ne rien révéler par un sourire, cacher le tout et disparaître, en fin de jour ensoleillé

tes jambes suspendues à ton âme accordée aux musiques de l'amour soutiennent le tout, l’opacité d'une ville en mouvance garde éveillé ton désir, plantation d'étoiles dans ton coeur morose, pluvieuses lumières parfumées d'aurore et d'hiver

tu as marché de long en large, pour parcourir un temps un lieu, isolés comme toi, dans une ville inoubliable, derrière une porte, la dernière chambre devenue tienne pour une nuit, tu as vécu la patience absolue des roses

combien t'es-tu interrogé, combien as-tu vidé la vie de son sens, tout ce temps en un lieu si court, tant d'heures de la nuit, à demander, à croire à l'impossible geste, à te dire j'en peux plus

le choix inavouable ne pouvant être avoué qu'avec le calme plat de ta main décidée sur le bout d'un papier

vouloir il a fallu pour atteindre la fin en solitaire, en amoureux du silence, sans plus de partage, pouvoir il a fallu, pour endurer le désespoir, jusqu'à sa fin perverse, vers l'au-delà de tes limites, vouloir et pouvoir il a fallu pour faire tout ça

voyager sur la frontière d'un calcul déchirant, enjamber la limite du vivant, la traversée vers l'inertie, une ruelle commune pour un saut spectaculaire au matin sans spectateur

la détresse cachée se dresse devant l'abîme, une prouesse suicidaire s'engage après silence, c'est un élan vers le tout, atterré par le vent, ton souffle en arrêt

triste trouvaille sans plus de cri, cassée détruite en sa parole, devenue ange âme mystère, peut-être tout, tu seras mort dans la création d'une autre vie garnie de fleurs en dentelle

tes ailes veloutées, tes pétales te feront voyager dans l'irréel de nos vies, nous te rejoindrons un jour, chacun notre tour, comme la pluie rejoint la terre

les ténèbres du silence rendent la patience impossible, ton absence une matière à diluer, un réseau de mauvais sens à égrener, un piment fort à avaler, en attendant ta parole en vain

malgré la patience il y a le doute, il faut attendre la minute sans la connaître, quand la vie annonce la venue inattendue d'une mort imprévisible

la cicatrice de ton geste restera irrévocable, une empreinte du chant d'amour souterrain, abandonner les autres avec la stupeur de leur maladresse

poussières de jour à l'unisson entre vie et rêve, ta poussée corporelle demeure incontournable, tu n'avais rien dit d'autre, rien ne laissait savoir ta décision de toucher à l'irréel

il aurait fallu reconnaître ta soif ta faim, la finale de ton souffle, dans ton regard achevé par la joie, cette ruse de ton apparence

la vie est longue dans ton monde subtil, les couleurs existent-elles, et les parfums, et les caresses du vent tout à l'envers

mon corps, parfumé de tes poussières, se penche pour admirer l'ivresse des derniers jours, mais le vent de ta vivacité s'est assoupi

que veux-tu, aux confins du monde, à observer nos joies en souriant, nos peines et nos limites en attendant

amoureuse de longs sommeils, soumise à ton regard rouge sur mon coeur, je suis assommée au réveil par ton absence

une lune de jour cache ses noires merveilles en des matins de nuits bleues, toi rosée de mes peines, apaise en moi cette mélancolie

le silence des voix lointaines s'accordent à mon âme et à tes soucis oubliés, ma solitude dulcinée chagrine tes refrains

le soleil de mon encre répand des rubans de mots sur du papier perlé, la fin ne ternira pas la page, le temps ne vieillira pas tes paroles

le souvenir de ton corps en lambeaux te retiendrait de revenir, mon âme te dit attends, je regarderai la beauté des fleurs pour toi et les arbres de l'automne en octobre

FIN

En 2005, c'était ma façon à moi de parler du suicide de mon frère, en poésie. Est-ce que cela a sauvé une vie ? Est-ce qu'une vie sera sauvée ? Comment savoir ? Une chose est certaine, l'idée n'était pas de le rendre coupable de ma peine. C'était ma façon à moi de le comprendre, LUI, en douceur et avec tendresse, de l'accepter tel qu'il a été jusqu'à la fin.

J'avais voulu faire partie d'un groupe de soutien de frères et de soeurs qui ont perdu un frère ou une soeur par suicide, au Centre de prévention de suicide de Québec. Ce genre de groupe n'existait pas en 2005. Pas de groupe non plus pour les enfants ou les ados qui ont perdu un proche par suicide. Que des groupes pour les proches, en général, dont la priorité était des parents, semblait-il. Depuis treize ans, y a t-il eu des changements ? Je ne sais pas.

© Lucie Delarosbil, 2018

Publié dans Poésies

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